Article OTT

La manière dont les fans consomment le sport évolue constamment en lien avec les innovations technologiques et les changements générationnels. Streaming, réseaux sociaux, plateformes à la demande…, le modèle de diffusion linéaire via des diffuseurs classiques cède peu à peu sa place à de nouvelles solutions qui suivent une logique de désintermédiation et d’enrichissement de l’expérience fan.

Ces dernières années, un nombre croissant d’organisations sportives, principalement des ligues et des clubs, ont lancé leurs propres plateformes OTT (Over The Top), c’est-à-dire des services de streaming indépendants des diffuseurs traditionnels.

Les motivations à l'origine de cette tendence sont multiples :

  • Renforcer la relation directe avec le public,

  • Générer de nouveaux revenus,

  • Collecter des données sur les fans,

  • Accroître la visibilité sur de nouveaux marchés.

Ce phénomène prend petit à petit de l’ampleur : 84% des dirigeants des organisations sportives estiment que les plateformes OTT propriétaires joueront un rôle clé dans la construction de la relation fan d’ici 2030 selon l’étude Global Sports Survey de Altman Solon en 2024.

Toutefois, lancer un projet OTT n’est pas chose aisée et tous les projets ne rencontrent pas le succès espéré. Dans cet article, nous explorons les impacts et opportunités qu’apportent les plateformes OTT propriétaires sur la relation avec le public et les conditions à réunir pour envisager un projet pérenne.

L’OTT une réponse aux attentes des fans ?

Une consommation plus souple et personnalisée

Les habitudes de visionnage évoluent et particulièrement chez les jeunes générations. Selon Deloitte (2025 Global Sports Industry Outlook), plus de 90% des fans de la Gen Z et des Millennials (naissance entre les années 90 et 2010) consomment du contenu sportif via les réseaux sociaux : extraits, résumés, interviews, statistiques. Et près de la moitié d’entre eux ont payé un abonnement pour visionner du sport en streaming au cours des douze derniers mois. S’adapter aux modes de consommation de ces générations est impératif pour perpétuer l'attractivité des rencontres et événements sportifs face à une offre croissante de divertissement.

Les habitudes de consommation de cette typologie de public se caractérisent par un souhait de solutions flexibles. Ils veulent pouvoir choisir où, quand et comment regarder.

En ce sens, l’OTT répond à cette attente :

  • Visionnage sur mobile, tablette ou TV connectée,

  • Accès à la demande (live ou replay),

  • Qualité vidéo constante et expérience fluide (56% des fans jugent leur expérience de visionnage meilleure sur les plateformes de streaming que sur la télévision classique selon Deloitte).

Une expérience enrichie et interactive

Au-delà des nouvelles façons de consommer, les fans sont à la recherche de contenus enrichis, immersifs et de nouveaux formats. Statistiques en direct, multi-angles, écran scindé, commentaires alternatifs, gamification avec des jeux de prédiction ou encore point de vue des joueurs, sont des fonctionnalités qui “augmentent” l’expérience de visionnage. Plus d’un tiers des fans considère celles-ci comme nécessaires (Deloitte 2023 Sports Fan Insights). Les plateformes OTT répondent parfaitement à ces attentes en permettant aux fans de choisir parmi ces options et de personnaliser ce qui s’affiche sur le flux vidéo.

Parallèlement, il y a également un désir d’explorer de nouveaux formats et contenus qui dévoilent les coulisses des équipes et compétitions. Les docu series sportives sont en vogue à l’image des pionniers "Sunderland 'Til I Die" ou "Drive to Survive" qui ont cartonné et respectivement grandement renforcé l'image du club de Sunderland et de la F1. Ces contenus participent à l’engagement narratif qui est particulièrement recherché par la Gen Z. Comme le note Andrew Baker dans le Financial Times (Head of Strategy - Footballco), ce storytelling “est mieux adapté pour construire des marques fortes dans un paysage numérique saturé”.

La diffusion traditionnelle de match avec format d’émissions avant et après ne suffisent plus. Les clubs et ligues ont tout intérêt à produire ce genre de contenus “inside” et de les accompagner de documentaires historiques, d'émissions d’actualités et bien évidemment de résumés et compilations pour renforcer les liens avec les fans. C’est d’ailleurs typiquement le type de contenu qui permet de renforcer l'intérêt et motive la décision de souscrire à un abonnement pour une plateforme.

Des offres d’abonnements plus flexibles et ciblés

Enfin, le modèle OTT donne le choix de s’abonner uniquement aux contenus souhaités. Il n’est plus nécessaire de souscrire à un abonnement comprenant des dizaines d’autres chaînes dont l'intérêt est limité. Les plateformes rendent également possible, au-delà de l’abonnement classique, la possibilité d’acheter des matchs à l’unité (pay-per-view) ou de s’abonner à ceux d’une équipe en particulier. Ce modèle d’abonnement ciblé rend le sport plus accessible, en particulier pour les compétitions ou ligues qui n’ont pas la visibilité des grands championnats.

 

Ce que l’OTT change pour les ayants droit

Reprendre le contrôle de ses droits et générer des revenus directs

Pour les ligues, l’OTT propriétaire représente un moyen de retrouver leur autonomie stratégique. En effet, ce modèle permet d’éviter la dépendance vis à vis des diffuseurs classiques et d'événements conjoncturels sur le marché des droits sportifs tout en maîtrisant la relation directe avec les fans. La solution OTT est notamment pertinente pour les compétitions qui peuvent avoir du mal à vendre leurs droits dans un écosystème de divertissement audiovisuel très concurrentiel. Cela répond aux soucis d'invisibilisation tout en générant des revenus.

C’est notamment la logique derrière le lancement de la plateforme PRTV Live par la Premiership Rugby. Alors que seulement les plus grandes affiches restaient diffusées sur BT Sport et ITV, la ligue souhaitait proposer aux fans un accès à l’intégralité des rencontres, en direct et à la demande, partout dans le monde. Résultat : une nouvelle offre payante qui combine autonomie, cohérence et contrôle éditorial.

Même logique pour la Ligue Nationale de Volley (LNV) en France : après la fin de certains accords de diffusion, elle a choisi d’évoluer vers une plateforme OTT moderne, LNVtv, opérée par Alpha Networks. Ce choix répondait à une double nécessité : assurer la visibilité de tous les matchs et offrir une expérience fluide (multi-écrans, replays, contenus exclusifs).

Ces solutions permettent aux ligues de développer le contenu éditorial et narratif ainsi que la promotion de son “produit” tout en le monétisant directement sans intermédiaire.

Étendre la visibilité et l’exposition

L’autre atout majeur des plateformes OTT tient à leur capacité à dépasser les frontières traditionnelles. Elles offrent aux ligues la possibilité d’aller chercher des audiences situées dans des “dark markets” : ces territoires où les matchs n’étaient pas disponibles auparavant.

C’est précisément ce que réalise la Swiss Football League avec SFL TV, opérée par Asport. La ligue rend ses compétitions accessibles bien au-delà du territoire helvétique (sauf pays frontaliers). L’objectif n’est pas seulement de montrer les matchs, mais aussi de valoriser la marque du championnat auprès de nouvelles audiences et d’attirer sponsors et partenaires internationaux.

Accroître la valeur sponsor et marketing

L’un des apports stratégiques de l’OTT pour les ligues réside dans la richesse des données qu’elle génère. Contrairement à la télévision qui fournit une mesure d’audience agrégée, une plateforme propriétaire donne la possibilité de connaître précisément qui sont les abonnés et peut même préciser qui regarde quoi.

Ces informations ont une double valeur :

  • Marketing et CRM: elles nourrissent la connaissance des publics et permettent d’orchestrer des actions ciblées (offres billetterie, merchandising, fidélisation).

  • Sponsoring et reporting : elles renforcent la transparence vis-à-vis des marques partenaires, avec des indicateurs fiables et exploitables.

L’exemple du FC Barcelone illustre bien cet enjeu. Dans le cadre de contrat de sponsoring liant le club à Spotify, la marque a découvert que moins de 1 % des 350 millions de followers du club avaient partagé leurs données personnelles avec consentement. Résultat : une base activable quasi inexistante, qui a limité la valorisation du contrat.

 

Quand est-ce qu'une plateforme OTT est-elle pertinente ?

Lancer une plateforme OTT est une décision stratégique ambitieuse. Bien qu’elle ouvre des perspectives claires en matière de revenus, de visibilité et de relation directe avec les fans, elle suppose aussi un certain nombre de prérequis et de risques à maîtriser.

Identifier les bonnes conditions de réussite

1. Une audience engagée et prête à payer

Le premier critère est sans surprise : la taille et la qualité de l’audience. Le succès d’une plateforme est favorisé si la base de fans est suffisamment large ou passionnée pour justifier un modèle d’abonnement ou de pay-per-view (achat d'un contenu à l'unité). Il est cependant possible pour les petites et moyennes ligues de se lancer dans un projet OTT en plusieurs étapes. Par exemple en commençant avec un périmètre qui se concentre sur la diffusion des rencontres en attendant de déployer de contenus éditoriaux supplémentaires si l’acquisition d’abonnement fonctionne bien.

2. Une production régulière et qualitative
L’OTT n’est pas un simple canal de diffusion : c’est un média vivant. Les projets les plus aboutis démontrent l’importance d’un flux éditorial varié. OL Play, la plateforme OTT de l’Olympique Lyonnais, publie ainsi bien plus que les matchs en différé : résumés, émissions d’actualité, documentaires, coulisses et formats immersifs sur les jeunes du centre de formation. Ce rythme soutenu maintient l’intérêt tout au long de la saison et renforce la valeur perçue de l’abonnement. Car sans rythme éditorial clair, une plateforme risque de perdre en attractivité. La capacité des ligues et clubs à mobiliser les différentes parties prenantes et à coordonner la production de contenus tout au long de la saison est donc un enjeu stratégique pour la réussite d’un projet.

3. Une distribution et une accessibilité facilitées
Le succès d’une plateforme dépend également de sa disponibilité. Pour atteindre un public large et pour se conformer aux nouvelles habitudes de consommation de contenu, il est important qu’elle soit accessible sur l’ensemble des stores et supports : App Store, Google Play, smart TV, ou plus simplement via une web app.

4. Un investissement stratégique aux retombées multiples
En fonction de l’ambition, les projets OTT exigent des investissements techniques, éditoriaux et marketing variés. Avant de se lancer, il est essentiel d’évaluer les coûts d’acquisition et de production face aux revenus espérés (abonnements, publicité, partenariats). 

Au-delà de la rentabilité propre de la plateforme, un projet OTT doit être considéré comme un investissement structurant dont les effets se déploient progressivement. En renforçant la visibilité des compétitions, en engageant davantage les fans et en enrichissant la donnée first-party, l’OTT peut entraîner une croissance indirecte d’autres revenus : billetterie, merchandising, sponsoring, ou abonnements clubs. L’équation économique ne se limite donc pas au nombre d’abonnés à court terme : la valeur créée se mesure aussi dans la capacité du projet à soutenir la stratégie globale et à développer la marque sur le long terme.

 

Anticiper les limites et les risques

1. Fragmentation du paysage
Le principal défi du streaming sportif aujourd’hui est la multiplication des plateformes. Selon Deloitte 2025 Sports Industry Outlook, 35% des consommateurs estiment devoir s’abonner à trop de services pour suivre l’ensemble de leurs sports favoris. Près d’un fan sur deux dit manquer certains matchs faute d’accès à la bonne plateforme. Cette fragmentation crée une frustration croissante et risque de diluer l’attention du public.

2. Viabilité pour les structures plus modestes
Il ne faut pas sous-estimer les coûts de production et les ressources nécessaires pour garantir un niveau de qualité technique et éditorial élevé. Manchester City, dont le projet OTT est très ambitieux, dispose de ses propres studios pour alimenter sa plateforme City+.

Il est donc primordial de définir le périmètre du projet OTT en relation avec les moyens financiers et les objectifs. Certaines structures préfèrent dès lors s’appuyer sur des prestataires mutualisés, comme Asport, qui opèrent des plateformes en marque blanche. Un moyen de rationaliser les coûts tout en développant la visibilité.

3. Risque générationnel
Enfin, un dernier point de vigilance concerne l’accès des contenus pour différents segments générationnels. Les fans les plus jeunes sont une catégorie stratégique car ce sont à ces âges que les habitudes et attachements émotionnels se développent.
En mettant trop de contenus derrière une barrière payante (paywall), une ligue ou un club peut freiner la découverte de son sport car les jeunes publics ont généralement un pouvoir d’achat moins important. Un équilibre doit être trouvé entre monétisation et exposition, pour préserver l’attractivité à long terme.

A l’opposé, un public plus sénior peut se retrouver dérouté par ce mode de consommation et de distribution différents de ce dont ils ont été habitués avec la télévision. Il faut alors faire preuve de communication et de pédagogie pour bien expliquer ce que comportent les offres et où et comment s’abonner.

 

La donnée comme fil rouge

Au-delà de la diffusion, un des leviers de valeur d’un projet OTT réside dans les données qu’il génère. Les plateformes permettent de collecter des informations précieuses sur les contacts abonnés : quels sont les types de produits achetés (pay-per-view, pass saison, play-off, pack équipe, etc.) et, pour les plateformes les plus poussées, sur les comportements de visionnage (fréquence, durée, type de contenus, équipes suivies).

Ces informations, une fois structurées, constituent une véritable carte d’identité digitale du supporter. Elles permettent aux ligues, fédérations et clubs de comprendre leurs publics. Comme le souligne le Financial Times, 9 des 10 plus grands clubs du monde ont aujourd’hui un service OTT nécessitant une inscription. Ils transforment ainsi leurs fans en utilisateurs identifiés, collectent de la donnée first-party et diversifient leurs revenus.

Mais ces données n’ont de valeur que si elles sont centralisées et activables. C’est précisément là que le CRM entre en jeu.

 

Le rôle clé du CRM : relier les usages et activer la relation

Lorsqu’une plateforme OTT est connectée à un CRM, la donnée n’est plus seulement un indicateur de performance, elle devient un levier d’action marketing et relationnel.

Concrètement, les données issues de la plateforme peuvent permettre par exemple de :

  • Identifier les spectateurs OTT réguliers n’ayant jamais acheté de billet pour venir au stade afin de leur proposer des offres de première venue,

  • Reconnaître les consommateurs de résumés et compilations d’une équipe spécifique, et leur recommander des produits dérivés ciblés,

  • Mesurer la valeur d’exposition sponsor par club, type de match ou durée de visionnage.

Ces activations concrètes reposent sur la capacité à relier les données OTT aux autres sources : billetterie, boutique en ligne, application mobile, newsletter ou programme de fidélité.

Exemples concrets : l’intégration des données OTT dans Arenametrix

Plusieurs ligues ont déjà franchi cette étape avec Arenametrix:

  • La Swiss Football League, via sa plateforme SFL TV opérée par Asport, intègre ses données d’abonnement et de visionnage dans Arenametrix. Cela permet de savoir quels contacts ont souscrit à quel type d’offre (match à l’unité, pass équipe, abonnement global).

  • En France, la Ligue Nationale de Volley (LNV) remonte, via Alpha Networks, les données de consommation issues de LNVtv : achat d’abonnement coupe de France, séries de play-offs, ou match unique.

Les acteurs les plus avancés ne voient plus l’OTT comme un silo, mais comme une brique de leur écosystème digital. Elle vient compléter la billetterie, la bourique en ligne ou l’application mobile pour alimenter une stratégie centrée sur le fan.

Ces cas d’usage montrent la prise de conscience de l’importance de lier les différentes sources de données, dont celles provenant de l’OTT, au CRM pour bâtir sa stratégie de relation fan et l’activer.

Le mot de la fin

L’essor des plateformes OTT illustre les changements auxquels s’adaptent les organisations sportives vis-à-vis des attentes de leurs fans. Ce mouvement, initié par les plus grands clubs et certaines ligues pionnières, gagne progressivement les structures de taille moyenne qui cherchent à renforcer leur visibilité, à monétiser plus directement leurs audiences et à mieux comprendre leurs publics.

Le succès ne repose pas uniquement sur la qualité du contenu ou les performances techniques, mais la capacité de l'OTT à devenir une brique d’un écosystème digital global, au croisement du marketing, du média et de la connaissance fan.

En définitive, le véritable enjeu n’est pas de lancer une plateforme propriétaire OTT, mais d’en faire un outil au service de la stratégie relationnelle.

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